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Processus de Beauvau : L’autonomie en perspective

On attendait de la réunion du 7 juin 2023 place Beauvau qu’elle redynamise un processus que l’opinion ressentait de plus en plus hésitant. Le but est atteint. Nous sommes sortis de cette réunion du 07 juin 2023 avec un objectif -une réforme constitutionnelle programmée à laquelle le dossier corse peut être rattaché -, un calendrier et une méthode. Les lignes commencent à bouger.

Avant le 14 juillet, l’Assemblée de Corse aura donc à se prononcer sur un projet précis de réforme constitutionnelle. Une session sera tenue d’ici là pour son adoption. Gilles Simeoni en a donné les grandes lignes, en proposant d’inscrire un titre nouveau dans la Constitution pour la Corse, à l’instar de ce qui existe déjà pour la Nouvelle Calédonie. De la sorte, la Corse sortirait expressément du droit commun.

Jusqu’à quel point ? Le choix des mots sera important. Celui de l’autonomie est désormais banalisé y compris par le Ministre en charge du dossier. En mars 2022, il avait été lancé in extrémis, pour désamorcer la crise politique qui agitait la Corse au lendemain de la mort d’Yvan Colonna. La semaine dernière à Paris, il était entré dans le discours banalisé des réponses que Gérald Darmanin a faites à ses interlocuteurs de la délégation corse. Ce « seuil », le gouvernement semble prêt à le franchir désormais, et cela lui sera demandé très certainement, officiellement, par la délibération à venir de l’Assemblée de Corse.

La réponse devra d’abord être apportée par une déclaration du Président de la République qui est le seul à pouvoir déclencher une réforme constitutionnelle. L’occasion de son traditionnel discours officiel du 14 juillet a été avancée.

Puis les négociations sur le texte à soumettre à la procédure constitutionnelle seront continuées. La version finale devra faire l’objet d’une consultation du peuple corse. La voie d’un referendum local est évoquée, pour que le mandat politique soit validé de manière indiscutable, et qu’il s’impose à la représentation parlementaire française au-delà des seuls groupes soutenant le gouvernement, ce qui sera indispensable pour recueillir les trois cinquièmes nécessaires lors du Congrès de Versailles.

Une loi organique définira par la suite le contenu de cette autonomie, dans les espaces ouverts par la nouvelle rédaction de la constitution. Elle sera proposée au vote du Parlement après la promulgation de la réforme constitutionnelle quand celle-ci est adoptée.

Au-delà de la définition d’un calendrier et d’objectifs désormais précisés, la thématique de la troisième réunion technique programmée par le processus de Beauvau portait sur la question foncière face à la spéculation qui fait peser sur la Corse le spectre de la dépossession, coupant le lien du peuple corse et de sa terre, alors que c’est une condition essentielle à sa survie.

L’administration avait produit avant la réunion des documents d’appui minimisant délibérément les choses. La Corse est une île, et une telle envolée des prix du foncier sur son littoral n’a rien de marginal, puisque ce littoral accueille 80% de la population quand le littoral huppé de la Provence, là où les prix sont comparés, impacte beaucoup moins d’habitants en proportion. Certes, cela conduit là-bas aussi à la « délocalisation » de nombre d’entre eux, et le problème y est réel, mais, comme le littoral corse est devenu en totalité zone de spéculation, la Corse étant une île, ce sont tous les Corses qui seront contraints massivement à l’exil. Le phénomène est sans doute de même nature, mais ses effets seront incomparablement plus forts dans le contexte d’une île comme la Corse. En déclarant à la presse que la Corse dans sa totalité devait être considérée comme « zone tendue », le Ministre a exprimé que le message était passé.

Le dialogue lors de cette séance du 07 juin a donc été positif. En sortant de la réunion, Gérald Darmanin a communiqué sur certaines mesures qui peuvent être prises à droit constitutionnel constant, comme l’instauration d’un droit de préemption élargi consenti à la Collectivité de Corse, le renforcement des taxations qui permettront d’alimenter ce pouvoir de préemption, la continuation du Girtec pour soutenir les collectivités dans les procédures pouvant libérer du foncier disponible pour les résidents. D’autres pistes seront envisagées : réforme des dispositifs fiscaux, l’instauration d’un permis de louer, la définition dans les documents d’urbanisme de zones de servitude réservées à la création de résidences principales, etc…

Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, la mise en œuvre de mesures en faveur des résidents n’est plus cataloguée a priori comme « susceptible d’instaurer deux catégories de citoyens » selon les termes de la « ligne rouge » opposée jusque-là. Le dialogue semble enfin ouvert, mais il reste bien sûr à confirmer.

L’autre sujet délicat eu égard au droit commun constitutionnel sera celui de la langue corse, de sa transmission et de son officialisation. Il fera l’objet d’une prochaine réunion de travail.

Le passage des échanges verbaux aux échanges écrits, quand tout cela sera négocié précisément, permettra alors de savoir si l’autonomie de la Corse pourra être au niveau des attentes du peuple corse.

Mais le virage pris la semaine dernière par le dialogue avec l’État, s’il se confirme, permet d’espérer de réelles avancées.

François ALFONSI

 

Commission des Compétences législatives et réglementaires : Un rapport original et instructif

L’originalité de ce rapport intitulé « vers un statut d’autonomie pour la Corse » tient à sa conception. La « Commission des compétences législatives et réglementaires et pour l’évolution statutaire de la Corse », selon son intitulé complet, a procédé par audition de trois experts particulièrement pertinents – Andrìa Fazi, Wanda Mastor et Véronique Bertile, tous trois universitaires-, et le compte rendu de ces auditions « théoriques » est abondamment complété par la collecte de retours d’expériences directs de la part d’acteurs politiques de premier plan qui font vivre concrètement, ailleurs en Europe, des autonomies établies depuis des décennies.

La Commission présidée par Romain Colonna qui signe ce rapport a ainsi auditionné un représentant éminent des Îles Baléares, Antoni Vicens i Vicens, à l’occasion de sa venue en Corse pour faire connaître la loi autonomique prise par son gouvernement pour protéger les herbiers de Posidonie. L’échange permettra de mesurer le « pouvoir d’initiative » que l’autonomie donne à son gouvernement sur des matières qui nous sont si proches comme le tourisme, la protection des fonds marins et de l’environnement en général, de la langue catalane, etc…

Autre invité de marque, le président de la Région italienne du Trentino-Alto Adige qui bénéficie d’une « autonomie à statut spécial » très avancée pour ses deux provinces distinctes, le Tyrol du Sud germanophone dont la capitale est Bolzano, et le Trentino italianophone dont la capitale est la ville de Trento. Les deux provinces ont réussi avec pragmatisme à déjouer le projet étatique qui consistait à les opposer en les réunissant dans une même Région administrative. Non seulement ils se sont préservés mutuellement de toute interférence, mais leur entente a permis à la minorité linguistique des Ladins, à peine plus de 10.000 locuteurs vivant dans plusieurs vallées de ces territoires, de bénéficier de politiques de sauvegarde que jamais l’État italien n’aurait mises en œuvre. Le message du Président du Trentino, Walter Kaswalder, est simple : « non abbiate a paura dell’autonomia, hè una ricchezza ! ». Et il l’illustre des multiples réussites que l’autonomie des deux provinces, Trentino et SudTirol, a permises.

Autre témoignage très intéressant, celui d’Alberto Bertin, Président du Conseil de la Vallée d’Aoste, qui qualifie son territoire « d’île dans les Alpes ». Il a particulièrement insisté sur l’autonomie financière qui doit accompagner toute autonomie institutionnelle, de façon à ne pas dépendre de transferts dont la maîtrise est gardée par L’État.

Ces retours d’expériences concrets nous permettent de mieux comprendre le propos de Mme Véronique Bertile sur le distinguo fondamental à faire entre une « compétence de principe », qui est un pouvoir direct accordé à l’autonomie, et une « compétence d’attribution » qui découle d’une délégation de compétence accordée par l’État, mais sans vraiment permettre une séparation claire entre les deux entités.

Le résultat de toutes ces auditions menées à un rythme soutenu est un rapport vivant, bien plus facile d’accès que bien des rapports du même acabit, et la concordance entre les analyses des constitutionnalistes et le vécu d’acteurs politiques ayant expérimenté in situ des situations d’autonomie sur le long terme donne une force surprenante à la démonstration qui est faite de l’intérêt d’une autonomie pour la Corse.

Ainsi les universitaires éclairent avec une pédagogie claire dont il faut les remercier les concepts qu’il faut assimiler pour mieux comprendre les mécanismes institutionnels qui sont en jeu, tandis que les témoignages recueillis donnent la force du vécu et du concret aux démonstrations qui sont faites.

Le rapport est disponible sur le site de la Collectivité de Corse. On ne peut qu’en conseiller vivement la lecture, aussi instructive que revivifiante.

 

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